Il était une fois, perdu dans les plus hautes montagnes d’un
légendaire et sauvage royaume glacial, une peuplade mystérieuse et méconnue.
Les Ouiks – car c’est ainsi que s’appelaient les habitants de cette tribu
– étaient des créatures charmantes aux aspirations simples.
Ils ignoraient la duplicité, la vanité ou l’envie et se
satisfaisaient joyeusement des petits bonheurs simples que la vie leur offrait
avec une gentillesse débonnaire toute naturelle.
Hors un jour, cette Idyllique harmonie qui perdurait depuis
des Eons se trouva gravement menacée.
Tout commença en fait avec cette question terrible que le
jeune Aèfkabio posa un soir où les Ouiks étaient en pleins
concours de crachat nasal acharné :
-
Dîtes… Y a quoi donc derrière les montagnes ? s’enquit
doucement l’innocent.
Immédiatement, les borborygmes de nez et les remontées de
poids précédant un lancer s’interrompirent et un silence lourd comme l’humour
d’un Proutio mâle s’abattit sur le village.
C’est Antirox le sage qui reprit le premier ses
esprits, démontrant une fois encore si besoin était sa réactivité
intellectuelle légendaire :
-
kesten nanafout, ptio ? té pô bien ici ‘vec
nouzot’ ?
Des murmures d’approbation saluèrent l’intervention à la
justesse indéniable de cette référence absolue au sein de la tribu. Pourtant,
alors que tous étaient convaincus que l’incident était clos et qu’on
recommençait à renifler de part et d’autres avec application, Aèfkabio
se dandinait d’un pied sur l’autre, visiblement toujours en proie à la
perplexité.
-
Nan mais c’est pour savoir quoi… reprit l’effronté à la
surprise générale.
Jamais jusqu’ici un Ouik n’avait encore reposé une
question à laquelle une réponse claire avait été apportée. Une question, ça
dérangeait fatalement les activités culturelles ou ludiques du clan et aucun Ouik
digne de ce nom ne se serait dés lors acharné dans cette voix. Du coup ils
étaient bien ennuyés les pauvres Ouiks. Tous furent enfin soulagé quand Antirox,
après s’être gratté entre les orteils, preuve chez cet honorable Ouik
d’une réflexion poussée et difficile, prit à nouveau la parole :
-
Heuuuuuuuuuuu… ché pô moua ?! V’savez vouzot’ ?
-
Ah ben nan… firent échos quelques Ouiks de ci de là.
-
Ben pi on s’en fiche d’abord… ricanèrent d’autres Ouiks.
-
Ouè là on fait le crachicracha du nez d’abord ! intervint
un des participants du jeu particulièrement motivé.
Cette dernière remarque suffit aux Ouiks pour
simplement oublier les curieuse interrogations du pauvre Aèfkabio et se
remettre à glairer avec sérieux. Pas fou au point de poser une troisième fois
la question, le jeune Ouik s’éloigna tristement du concours de crachat
nasal pour s’isoler dans sa hutte de Glouyou ou il se plongea dans ses pensées.
Peu habitué à réfléchir avec une telle intensité, Aèfkabio
avait fini par s’effondrer de fatigue et ronflait depuis longtemps comme un
Glubo pelé quand il sentit une main se poser sur son épaule. Pensant qu’il
s’agissait d’une tite Ouikette désireuse de se lancer dans une séance de
tripotitripota intensive, il recouvrit immédiatement ses sens ; les Ouiks
étant –comme chacun sait – grands amateurs de tripotitripota…
Il ne s’agissait pas d’une tite Ouikette.
C’était en fait la Mémé de Aèfkabio qui s’était assise
à coté de sa couche et le regardait avec une étrange douceur à laquelle elle ne
l’avait jusqu’ici jamais habitué. Malgré son âge avancé, Mémé restait une
championne redoutée des concours de biyanglèz et elle ne regardait normalement
jamais son petit fils de cette façon. C’était pas un regard très… Ouik
qu’elle avait à ce moment là d’ailleurs, la mémé.
-
Tu n’as pas connu Môman, Aèfkabio… commença Mémé d’une
voix basse et fluttée.
« Ah mais heu caca de Pwetouille » se dit
l’endormi. « C’est bien ma veine tiens ! Mémé va me causer des trucs
d’avant qui sont pas intéressants !!! »
Pourtant – et bien qu’il réfléchisse à un moyen de se
débarrasser poliment de Mémé car tous les jeunes Ouiks savent bien que
les vieux Ouiks disent des trucs qui sont pas intéressants – Aèfkabio
répondit :
-
Ah ben non, Mémé, tu sais bien.
-
Elle était comme toi, mon petit ! reprit Mémé avec un
sourire si beau que soudain le poids des ans effaça ses nobles rides, lui
rendant comme par magie sa jeunesse enfuie.
-
Comme moi… demanda Aèfkabio en sentant monter des
larmes dans ses yeux bien qu’il ne comprit pas du tout pourquoi.
-
Oui… Tout pareil… acquiesça la vieille Ouik, du bonheur
dans les yeux à la simple évocation de ses souvenirs. Elle se posait… des
questions ! Et un jour, elle a disparu pour aller chercher des réponses.
-
Mais… Elle n’est pas endormi dans la terre alors ?
-
Non, mon petit. En tout cas pas ici… Peut être que ta Môman
s’est finalement endormie dans la terre en affrontant les dangers du dehors.
Mais peut être a-t’elle aussi trouvé ses réponses et repris sa vie de Ouikette
ailleurs, nul ne le sait.
-
Pourquoi tu me dis tout ça, Mémé ? Pourquoi seulement
maintenant ?
-
Simplement parce que je dois t’éviter ce qui est arrivé à ta
Môman, mon petit ! Je craignais que ce jour n’arrive bien que j’ai prié
Bouyabouya depuis ta naissance pour qu’elle te donne la quiétude de la tête.
Puisque tu n’es pas un Ouik ordinaire, autant l’accepter et préparer ton
départ au mieux…
-
Mon départ ? glapit Aèfkabio avec une angoisse
qu’il n’avait jamais ressenti.
-
Oui, mon petit. Car tu vas partir maintenant que les questions
sont dans ta tête… Comme ta Môman… Et je voudrais que – lorsque le moment sera
venu – tu quittes la tribu en étant préparé et non pas à moitié nu et la colère
dans le cœur comme ce fut le cas de ta Môman qui s’enfuit un soir sans même me
dire au revoir.
-
Je préfèrerai dans la journée paske le soir j’ai un peu peur…
-
Tu iras voir Groboulé demain, mon petit, poursuivit
Mémé sans relever les propos angoissés. Je sais qu’il peut sembler étrange pour
un Ouik mais il connaît… des choses ! Il t’aidera à préparer ta
quête des réponses mieux qu’aucun Ouik ne saurait le faire.
Puis laissant là un Aèfkabio tremblant à la tête
douloureuse, Mémé se releva dans un fracas d’os suppliciés et disparut dans la
nuit comme une vieille ombre improbable.
Chose rarissime chez un Ouik, Aèfkabio ne s’était pas
rendormi après le départ de Mémé. Le dodo était pourtant un rituel résolument
sacré pour les Ouiks et rien n’aurait empêché le dodo hormis le tripotitripota
qui était plus sacré encore. Moulu de tension contenue, Aèfkabio se
disait justement que ce serait une bonne idée de trouver une gentille Ouikette
pour se détendre quand il vit Groboulé passer devant la hutte.
Groboulé était vraiment un Ouik étrange…
Déjà d’apparence.
Il était immense et très musclé – alors que les Ouiks
sont une race plutôt chétive et peu portée sur l’effort physique – et sa peau était
parsemée de coupures plus ou moins bien recousues qui lui donnaient une
apparence… brutale. Par endroit, des décolorations stupéfiantes avaient
transformés la douce pigmentation bleuté du Ouik couturé en zone larges
d’un azur profond et définitif prouvant l’existence ancienne d’hématomes
terribles.
La violence étant pour les Ouiks un comportement tout
simplement impossible, le pauvre Groboulé était implicitement mis à
l’écart bien qu’on lui témoigne respect et gentillesse comme à tout Ouik
qui soit bien entendu. Curieusement – et à la grande surprise de la tribu pour
laquelle la sociabilité était aussi vitale que de boire du Glouyo – Groboulé
ne semblait pas souffrir de ce traitement spécial, allant même bizarrement jusqu’à ne pas rechercher lui-même le
contact des autres Ouiks (sauf pour le tripotitripota quand même…) et
restait un Ouik discret presque… solitaire.
Se relevant d’un bon, la fatigue subitement comme lavée par
l’apparition de Groboulé, Aèfkabio se mit à le suivre
tranquillement en se demandant comment il allait bien pouvoir l’aborder et
lancer le sujet qui le taraudait.
Ca faisait six fois que le jeune suiveur faisait le tour du
village derrière Groboulé perdu dans ses pensées sans trouver de moyen
satisfaisant quand l’étrange Ouik balafré s’arrêta enfin, se retourna et
s’adressa à Aèfkabio :
-
Pourquoi tu m’suis, p’tit ?
-
Ben c’est à cause de Môman ! balança l’interpellé
spontanément, ébahi de voir à quel point Groboulé était malin de l’avoir
percé à jour si facilement.
-
Hummm… Tu te poses… des questions, m’a t’on dit ?!
souffla le super rusé en s’approchant de Aèfkabio qui recula, pas
franchement rassuré.
-
En fait c’est Mémé qui… balbutia l’angoissé en se demandant
pourquoi il se sentait si mal alors qu’il n’y avait pas de dangers mais
simplement un autre Ouik en face de lui.
-
Ta Mémé est une très sage Ouikette, petit ! Elle
savait que tu marcherais sur les traces de ta Môman aussi m’étais-je préparé à
ta visite avant ton départ.
-
Mais heu je m’en vais pas… couina Aèfkabio, mi
angoissé, mi agacé d’entendre tous ces Ouiks le perturber à ce point
avec des délires.
-
Oh si tu t’en vas… Tu ne le sais simplement pas encore… coupa
le grand Ouik avec un sourire entendu. Suis moi jusqu’à ma hutte, nous
avons des choses à faire !
Etonné de voir que Groboulé venait de lui dire un
truc comme si c’était un ordre, concept tout simplement impensable chez les Ouiks,
Aèfkabio hésita à repartir dans l’autre sens pour marquer son
mécontentement. Heureusement, sa politesse naturelle – et l’absence d’assurance
qu’il ne ramasserait pas une beigne vu la tête de l’autre - reprit le dessus et
il suivit allègrement le vilain autoritaire.
C’était la première fois que Aèfkabio pénétrait dans
la hutte de Groboulé. En réfléchissant, il se rendit compte que personne
dans la tribu n’avait à sa connaissance eu ce privilège – le grand Ouik
allant faire ses tripotitripota chez ses copines Ouikettes - et il
trouva ça drôlement Coulamor. Quand il regarda autours de lui, ça ne fut plus
seulement Coulamor mais carrément Grodélirant !
La hutte de Groboulé était remplie d’objets étranges
qu’il n’avait JAMAIS vu nul part chez aucun Ouik. De gros vêtements
brillants et visiblement très lourds étaient rangés avec soin sur des
porte-tuniques et des outils entrecroisés très effrayants décoraient les murs
intérieurs.
-
Whaoooooooo… ne put réprimer Aèfkabio. Trop Topgiga
tous ces trucs…
-
Ce sont des armes et des armures, petit.
-
Ca sert à quoi ? C’est pour quels jeux ?
-
Et bien… hésita le balafré. En fait, ça n’est pas pour
jouer ! Les armures sont faites pour te protéger !
-
Ah ?! Protéger contre quoi donc ? demanda le jeune Ouik
qui ne voyait pas du tout où ce bizarre Ouik voulait en venir.
-
Contre pleins de choses dangereuses qu’on trouve « à
l’extérieur ».
-
On se met dedans et on attend comme quand une Carapassouille
est taquinée par un Minouyen ?
-
Non pas exactement. Si tu te contentes de rester dans
l’armure, certaines choses dangereuses finissent par la casser alors il faut
les en empêcher en les tapant. Puis désignant les outils effrayants. AVEC
CA !
-
Taper… Pour faire du mal… osa a peine dire Aèfkabio.
-
Oui, petit ! Dehors, ça n’est pas comme dans la tribu.
Les baies ne poussent pas toutes seules sur les arbres et tu n’as pas forcément
du jus de Mylka pour faire des fromages. Pour te nourrir, il te faut
chasser !
-
Les baies se défendent quand on les mange dehors ?
-
Certaines oui… En fait, il existe dehors une espèce globale
inconnue des Ouiks. Chez nous, il y a les bêtes gentilles que tu vas
fréquenter avec plaisir et les bêtes que tu n’ennuies pas et qui ne t’ennuies
pas n’est ce pas ?
-
Ben oui…
-
Dehors, il y a pleins de bêtes qui t’ennuient MÊME SI tu ne
les ennuies pas ! Et elles t’attaquent pour te manger. Parfois même pour
simplement te faire du mal !!! Contre ces bêtes là, tu dois te battre car
si tu agit comme une Carapassouille, tu es certain d’être endormi dans la terre
plus vite que n’a duré ton premier tripotitripota !
-
J’irai pas dehors… gémis piteusement Aèfkabio.
-
Oh si tu iras… Tu verras… Mais cette décision est tienne. Mon
rôle à moi n’est que de t’y préparer au mieux. Commençons donc par voir quelle
cuirasse protègera efficacement un maigrichon comme toi sans que le poids ne te
mette à genoux…
Prochain épisode : Chapitre troisième – Le Dehors